Questions sur la confiance : Kathleen Wantz O’RourkeDirectrice Plan d’Action & Performance du Groupe GDF SUEZ, membre du Conseil d’Administration de TMI.
Son parcours à forte dominante internationale, ses origines australiennes permettent à Kathleen Wantz O’Rourke d’observer la France avec un regard multiculturel. Cette ancienne élève de l’Institut de Haute Finance et de l’Université Paris Dauphine a notamment été Directrice Générale Finances chez Siemens France avant d’intégrer le groupe GDF Suez.
Cette interview est également disponible en anglais.
"Un exercice au quotidien."
Trust Management Institute : Qu’est-ce que le mot confiance évoque pour vous ?
Kathleen Wantz O’Rourke : Cela évoque de la liberté et de la sécurité. Pour moi, ce sont deux choses essentielles dans le fonctionnement en société. Quand on a de la confiance, il est possible d’entreprendre, de réaliser ses projets, de céder à la créativité en toute liberté, sans contrainte, et d’aller de l’avant. Pourquoi sécurité ? Parce qu’on peut s’engager sans sentiment de piège. La confiance stimule.
Au contraire, la défiance contribue à ce que nous nous repliions sur nous-mêmes. On capte, on décode moins bien la communication et les interactions avec les autres. Il s’installe une espèce de filtre négatif dans la façon dont on interprète les choses. Et cela risque de déformer le message, de générer des conflits.
TMI : C’est « utile aux hommes », pour faire référence à la devise de GDF Suez ?
KWO'R : C’est même essentiel ! On a besoin de confiance pour vivre. Cela fait partie intégrante de la nature humaine.
TMI : Comment cela se traduit-il dans vos fonctions professionnelles ?
Il faut donc apporter une réponse opérationnelle et concrète à ces défis. Et la confiance, dans ce contexte, doit se gagner. C’est un exercice au quotidien. D’un coup, quand on bouscule des habitudes, quand on définit des approches et objectifs nouveaux cela nécessite effectivement de prendre à cœur la question de confiance, de convaincre, d’être crédible, de parler le même langage que les personnes concernées. C’est à force de rendre notre action cohérente, de lui donner une certaine clarté, de la rendre tangible au quotidien, que peu à peu la confiance va s’instaurer et que les collaborateurs vont comprendre pourquoi il est nécessaire et saine de changer.
TMI : Comment voyez-vous la société française ? Y a-t-il un déficit de confiance en France ?
Deuxièmement, je pense que la France a été longtemps repliée sur elle-même. Elle n’a pas assez profité, je pense, de ce qu’offre le brassage des cultures pour mieux préparer la population aux certains changements liés à la mondialisation. C’est vraiment dommage d’autant plus que la France est un pays d’immigration et c’est une formidable source de créativité pour le pays.
Quand je compare la France à des pays comme l’Australie, dont je suis native, ou comme les Etats-Unis qui sont des melting-pots, je trouve que ces pays ont également un sens de la nation mais dans une construction orientée vers l’avenir. Il me semble qu’il y a une chance et une envie de réalisation personnelle et collective supérieures qui servent de moteur. Par exemple, lors des dernières campagnes électorales à la présidence aux USA et en France qui se sont déroulées à des intervalles très proches, nous avons été témoigne de deux manières quasi opposées d’aborder la question des entreprises. Aux USA, les candidats ont focalisé leurs visites sur des entreprises de pointe sur lesquelles se fond un grand espoir de dynamique de développement. En France, on a plutôt choisi de se concentrer sur des visites d’entreprises en difficultés, voire au bord du déclin. Dans ces pays melting-pots, l’avenir n’est pas forcément alimenté par des références aux institutions ou aux événements appartenant au passé comme en France. On vit beaucoup dans le passé en France. Or ce passé est révolu. Cela crée un décalage par rapport à ce que l’on observe au quotidien et les références, celles qui ont été inculquées et qui ne sont plus toujours pertinentes aujourd’hui. Il n’y a pas de grille de lecture par rapport à tous ces changements rapides et les gens ont du mal à savoir comment aborder cet avenir.
TMI : Que pourriez-vous conseiller au président de la République ?
TMI : Quels risques voyez-vous aujourd’hui dans la fragilisation de la confiance entre la France et l’Allemagne ?
TMI : Quel a été votre défi professionnel le plus difficile sur le plan de la confiance ?
TMI : Pourquoi avez-vous décidé de rejoindre TMI ?
KWO’R : J’avais rencontré Jean-Luc Fallou et Michel Francony à l’Institut de l’Entreprise où ils étaient venus faire une intervention sur la confiance basée sur le cas d’une grande entreprise française. J’ai tout de suite été interpellée par le discours, la méthode et par les constats. Et je me suis retrouvée entièrement dans l’approche. J’ai donc contacté Jean-Luc Fallou et on a eu l’occasion de réaliser ensemble un projet au sein de mon entreprise. Et puis est venue la création de TMI. Il m’a demandé si j’étais intéressée et je l’étais doublement : premièrement parce que j’avais envie de poursuivre l’exploration de la notion de confiance et aussi ce qui m’a séduite, c’est le fait qu’il s’agissait d’une fondation d’intérêt général où je mettais à disposition un peu de mon temps et de mon expérience pour le bien d’un public plus large.
TMI : Une crainte, un espoir pour l’avenir ?
Propos recueillis par Philippe Quillerier
Trust Management Institute : Qu’est-ce que le mot confiance évoque pour vous ?
Kathleen Wantz O’Rourke : Cela évoque de la liberté et de la sécurité. Pour moi, ce sont deux choses essentielles dans le fonctionnement en société. Quand on a de la confiance, il est possible d’entreprendre, de réaliser ses projets, de céder à la créativité en toute liberté, sans contrainte, et d’aller de l’avant. Pourquoi sécurité ? Parce qu’on peut s’engager sans sentiment de piège. La confiance stimule.
Au contraire, la défiance contribue à ce que nous nous repliions sur nous-mêmes. On capte, on décode moins bien la communication et les interactions avec les autres. Il s’installe une espèce de filtre négatif dans la façon dont on interprète les choses. Et cela risque de déformer le message, de générer des conflits.
TMI : C’est « utile aux hommes », pour faire référence à la devise de GDF Suez ?
KWO'R : C’est même essentiel ! On a besoin de confiance pour vivre. Cela fait partie intégrante de la nature humaine.
TMI : Comment cela se traduit-il dans vos fonctions professionnelles ?
« Rendre notre action cohérente, lui donner une certaine clarté. »
KWO'R : Je suis actuellement en charge de définir et de piloter un programme de performance avec une dimension forte de transformation. Le secteur de l’énergie, comme dans beaucoup d’autres, est en pleine mutation. Historiquement par exemple, on avait des entreprises avec une situation de quasi-monopole dans certains domaines, avec une clientèle fidèle, etc. Tout d’un coup, ce monde est confronté à l’ouverture des marchés, à l’arrivée de nouveaux concurrents, des ruptures d’envergure dans les technologies et les métiers, une situation économique très défavorable, une politique européenne qui prend de plus en plus de place etc. Cela contribue à une certaine déstabilisation des personnes qui travaillent dans cette industrie. Il faut donc apporter une réponse opérationnelle et concrète à ces défis. Et la confiance, dans ce contexte, doit se gagner. C’est un exercice au quotidien. D’un coup, quand on bouscule des habitudes, quand on définit des approches et objectifs nouveaux cela nécessite effectivement de prendre à cœur la question de confiance, de convaincre, d’être crédible, de parler le même langage que les personnes concernées. C’est à force de rendre notre action cohérente, de lui donner une certaine clarté, de la rendre tangible au quotidien, que peu à peu la confiance va s’instaurer et que les collaborateurs vont comprendre pourquoi il est nécessaire et saine de changer.
TMI : Comment voyez-vous la société française ? Y a-t-il un déficit de confiance en France ?
« On vit beaucoup dans le passé en France. Or, ce passé est révolu. »
KWO’R : Oui. Et je perçois deux dimensions essentielles au problème. Premièrement, il y a le contexte économique défavorable couplé par une forte mutation sociétale, liée en partie à la montée de la mondialisation. Ceci se traduit par des défis très importants pour la nation. Et je pense que ces défis-là sont parfois perçus comme insurmontables. Les gens discernent mal comment résoudre ces problèmes. Il n’y a pas de feuille de route. Deuxièmement, je pense que la France a été longtemps repliée sur elle-même. Elle n’a pas assez profité, je pense, de ce qu’offre le brassage des cultures pour mieux préparer la population aux certains changements liés à la mondialisation. C’est vraiment dommage d’autant plus que la France est un pays d’immigration et c’est une formidable source de créativité pour le pays.
Quand je compare la France à des pays comme l’Australie, dont je suis native, ou comme les Etats-Unis qui sont des melting-pots, je trouve que ces pays ont également un sens de la nation mais dans une construction orientée vers l’avenir. Il me semble qu’il y a une chance et une envie de réalisation personnelle et collective supérieures qui servent de moteur. Par exemple, lors des dernières campagnes électorales à la présidence aux USA et en France qui se sont déroulées à des intervalles très proches, nous avons été témoigne de deux manières quasi opposées d’aborder la question des entreprises. Aux USA, les candidats ont focalisé leurs visites sur des entreprises de pointe sur lesquelles se fond un grand espoir de dynamique de développement. En France, on a plutôt choisi de se concentrer sur des visites d’entreprises en difficultés, voire au bord du déclin. Dans ces pays melting-pots, l’avenir n’est pas forcément alimenté par des références aux institutions ou aux événements appartenant au passé comme en France. On vit beaucoup dans le passé en France. Or ce passé est révolu. Cela crée un décalage par rapport à ce que l’on observe au quotidien et les références, celles qui ont été inculquées et qui ne sont plus toujours pertinentes aujourd’hui. Il n’y a pas de grille de lecture par rapport à tous ces changements rapides et les gens ont du mal à savoir comment aborder cet avenir.
TMI : Que pourriez-vous conseiller au président de la République ?
« Les Français savent planifier (…) Il faut orienter le futur. »
KWO’R : Je pense qu’il faut qu’il fixe un cap fort pour la France, à savoir une série d’objectifs positionnés dans le temps, objectifs ambitieux mais réalisables. Il faut une vision à moyen-long terme, déterminée de manière pluridisciplinaire, multi-partisane, avec des étapes clairement planifiées. Ce projet national devrait ensuite être mis à l’abri de toute échéance électorale, de tout changement politique. Quel que soit le gouvernement, on a fixé le cap ! Et cette feuille de route, on l’explique aux Français, on explique ce qu’on va faire, quand on va le faire, pourquoi on doit le faire. Ainsi, ils vont pouvoir eux-mêmes constater et vérifier la bonne exécution de cette feuille de route. Il n’y aura pas de mauvaises surprises, car il y aura une vision claire et partagée. Or les Français savent planifier. Ce serait vraiment utile pour donner au pays une perspective positive, orienter le futur, montrer le chemin.TMI : Quels risques voyez-vous aujourd’hui dans la fragilisation de la confiance entre la France et l’Allemagne ?
« Ce qu’on craint aujourd’hui, c’est que l’Allemagne se frustre de la France. »
KWO’R : Nous avons commencé à réfléchir, au sein de TMI, sur les questions de confiance entre la France et l’Allemagne et sur le fait de savoir si c’est une question qui mérite un projet de recherche. Nous avons déjà animé plusieurs entretiens avec des personnalités différentes, françaises, allemandes ou franco-allemandes. Ce qu’on observe et ce qu’on craint aujourd’hui, c’est que l’Allemagne se frustre de la France et qu’elle se lasse de ses états d’âme. Et qu’en conséquence elle décide, sans même que cela soit visible ou public, de construire des partenariats alternatifs, notamment orientés vers l’est, la Russie par exemple, au détriment de la relation franco-allemande privilégiée qu’on a connue dans le passé. « Il faut une certaine cohérence dans le discours. »
Le groupe de réflexion qui a commencé à se pencher sur la question estime que l’Europe aurait beaucoup à perdre si cela devait être le cas. C’est une vraie crainte. Il y a aussi un problème dans le décodage culturel qui mine un peu la confiance entre les deux partenaires. Il faut décoder le langage de confiance de l’autre. Dans toutes les relations interculturelles, il faut adapter son dialogue, essayer de se placer d’égal à égal et de comprendre d’où vient l’autre personne, malgré les différences d’opinion. Et l’on se rend compte qu’il y a, dans la relation franco-allemande, des incohérences dans ce domaine. Parfois, tout semble coller, il y a une vraie compréhension. On l’a vu récemment par exemple, quand le président Hollande est allé en Allemagne et a dit le plus grand bien de la transformation du code du travail dans ce pays. Et en même temps, en France, on va avoir un discours interne pour défendre les acquis, pour dire que l’Allemagne fait du dumping social, a une politique sociale qui n’est pas adaptée. Il faut donc qu’il y ait une certaine cohérence dans le discours. TMI : Quel a été votre défi professionnel le plus difficile sur le plan de la confiance ?
« Les dirigeants doivent se mettre en danger. »
KWO’R : A la fin des années 90, je suis revenue d’Australie. J’ai occupé une fonction de direction en France dans une grande entreprise au moment où a surgi une grave crise économique, l’éclatement de la bulle internet. Du coup, on s’est retrouvé dans une situation de lourdes pertes, avec une stratégie qui n’était plus adaptée à notre situation. Il a donc fallu effectuer le redressement de l’activité. Ce que nous avons réussi à faire en neuf mois. Il a fallu restructurer lourdement, avec un plan social et tout ce qui l’accompagne, ce qui n’est jamais agréable. « Il y a un des langages de la confiance comme il y a des langues étrangères. »
Mais je pense qu’on est sorti de ces difficultés - et j’en suis assez fière compte tenu des commentaires des salariés eux-mêmes - avec confiance dans l’avenir et avec une vraie compréhension des raisons pour lesquelles il était nécessaire de le faire. Ce qui est important dans ce type de situation, c’est que les dirigeants, les patrons descendent dans l’arène, qu’ils se mettent en danger et qu’ils montrent clairement aux salariés qu’ils partagent leur quotidien, qu’ils défendent les intérêts de l’entreprise et qu’il y a un vrai travail en équipe qui s’engage pour redresser l’activité. Ça a été une expérience très intéressante, surtout venant d’une autre culture. Il y a un des langages de la confiance comme il y a des langues étrangères. Il me semble utile d’essayer de décoder les différences culturelles de telle sorte qu’on arrive à parler de la même manière entre les différentes cultures. Il a fallu vraiment que je m’adapte et que je décode correctement les inquiétudes, les soucis et que la confiance qu’il fallait construire soit adaptée aux attentes.TMI : Pourquoi avez-vous décidé de rejoindre TMI ?
KWO’R : J’avais rencontré Jean-Luc Fallou et Michel Francony à l’Institut de l’Entreprise où ils étaient venus faire une intervention sur la confiance basée sur le cas d’une grande entreprise française. J’ai tout de suite été interpellée par le discours, la méthode et par les constats. Et je me suis retrouvée entièrement dans l’approche. J’ai donc contacté Jean-Luc Fallou et on a eu l’occasion de réaliser ensemble un projet au sein de mon entreprise. Et puis est venue la création de TMI. Il m’a demandé si j’étais intéressée et je l’étais doublement : premièrement parce que j’avais envie de poursuivre l’exploration de la notion de confiance et aussi ce qui m’a séduite, c’est le fait qu’il s’agissait d’une fondation d’intérêt général où je mettais à disposition un peu de mon temps et de mon expérience pour le bien d’un public plus large.
TMI : Une crainte, un espoir pour l’avenir ?
« J’ai confiance en la jeunesse. »
KWO’R : Mon espoir est dans la jeunesse. J’ai confiance en la jeunesse et dans sa capacité à faire évoluer la société française. Et même si elle n’aborde pas les problèmes de la même manière que les générations précédentes, je pense que par l’innovation dont elle fait preuve, par les collaborations en réseau qui sont profondément installées et développées en son sein, de par sa créativité et son engagement, qu’elle trouvera les solutions pour l’avenir de la France. Il faudrait juste veiller à ce que cette jeuneuse ne se décourage pas et ne soit pas tentée de s’installer durablement ailleurs qu’en France.Ma crainte, c’est qu’on n’établit pas le cap que j’évoquais. Qu’on ne fixe pas cette vision, qu’on n’arrive pas à avancer sur un projet commun et que la méfiance gagne au profit des préoccupations politiques à court terme. Ce serait une erreur pour la France.Propos recueillis par Philippe Quillerier
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